11 septembre . Deux tours s'effondrent. Gros choix psychologique. Comment ? les Hommes sont donc capables de ça aussi?! Les images m'agressent, et je me sens tellement impuissante... 21 septembre.
Je travaille à Labège, ce jour (quelques kilomètres d'AZF). J'entends une grosse détonation. au même instant ma fenêtre de bureau se met à vibrer, je ressens un souffle puissant qui vient de dehors et je vois s'envoler les documents posés sur le rebord de la fenêtre. Je lis la même interrogation, le même stress, dans les yeux de mes collègues, dans le bureau d'à coté. Mes jambes se mettent à flancher comme devant les images à répétition des deux tours qui s'effondrent... Ce n'est pas normal. Si c'est peut-être juste un tremblement. J'ai déjà vécu la sensation des vitres qui vibrent, à Toulouse, lors d'un petit tremblement de terre... Allez, je sais bien que là, c'est différent... ce grand bruit juste avant...ce souffle... Cela a duré une fraction de seconde.. Réaction stupide et pourtant si fréquente : je me panache à la fenêtre pour récupérer mes documents (histoire de gommer mon stress montant); ils sont dans l'herbe, deux étages plus bas…
J'ai rêvé? Ce n'est rien en fait. N'est-ce pas que ce n'est rien? Toute l'entreprise sort dans les couloirs. Tous sortent dehors à présent. C'est quoi ce délire? J'ai peur. L'angoisse qui monte. Si on attaquait Toulouse, on toucherait quoi? Le centre ville. Vite : appeler mes parents. Je les joints sans problème. Ils ont entendu eux aussi...mais ils ne savent pas. Impossible de me remettre à travailler, même une heure plus tard. Dans l'entreprise, on s'organise, les uns appellent les journaux, d'autres les radios, d'autres cherchent de l'information sur Internet... Vers 11h30, des collègue ayant reçu ordre d'aller chercher leurs enfant sa l'école de toute urgence, et par ce type de réseau, on apprend que "ça a pété à AZF et en centre ville tout a volé en éclat". J'imagine des milliards de choses, "ils" ont attaqué non seulement le centre ville, mais aussi une cible terriblement plus diabolique : l'usine chimique au cœur de Toulouse.
Je m'effondre. Pourquoi?
Tout à coup, je vois tous les collègues au téléphone. Je pense alors à appeler mon mari, je sais qu'il n'est pas très loin de la zone d'AZF. Je ne me fais pas trop de soucis, que peux-t'il lui arriver, à plus d'un km de là?! Tous les réseaux téléphoniques sont saturés. Impossible de le joindre. Il est presque midi. Le stress le choc, l'angoisse m'achèvent. Je me mets à stresser vraiment pour Thierry. Pourquoi ne m'appelle-t-il pas? 13h00 Mon mari est bloqué sur la rocade depuis 2 bonnes heures. Il était en salle de réunion quand tout a coup "toutes les vitres ont explosé". Ils se sont jeté au sol par réflexe, ou sous les bureau. Quand ils se relèvent, certains collègues sont fortement entaillés, certains s'étant jeté à terre de tout leur poids sur des morceaux de verre déjà à terre. Ils aperçoivent au loin un gros champignon, et rapidement les locaux sont envahis par cette espèce de poussière rouge que nous connaissons plutôt lors des grands vents du Sahara, d'habitude... A présent Thierry est en route pour amener ses collègues vers l'hôpital, mais la rocade est saturée alors ils vont essayer de sortir de là et trouver un médecin au plus vite.
Les deux mois suivant, je navigue entre désespoir ("Je ne crois plus en l'Homme"), et colère ("je ne resterai pas sans rien faire"). Je me sens impuissante encore une fois, devant l'ampleur des dégâts d'AZF, et pourtant, la proximité de l'évènement, le fait qu'il me touche au plus profond (je suis née au COEUR) de cette ville, m'aide à prendre une grande décision : à présent, je ne resterai plus sans rien faire. Mais quoi faire ? Mes parents se sont inscrits sur les listes des personnes volontaires pour aider "au front", sont retournés proposer leurs services, mais n'ont finalement pu participer à aucune action concrète. Mon amie psychologue est allée sur place prêter son soutient psychologique au personnes sinistrées, mais je ne suis pas psychologue... Et puis c'est plus sur le long terme que je voudrais être efficace... Quoi faire pour avoir l'impression de laisser un jour en héritage à mes enfants un monde un peu plus "sur", un peu plus "humain"? Quoi faire pour répondre à ce Slogan désormais toulousain également (et malheureusement) : "plus jamais ça ?" Il parait que viser plus d'humanité commence par "connait-toi même"...
Deux mois après la catastrophe, je prends mon téléphone, j'appelle plusieurs associations. Humanitaires, de soutien, etc... rien qui me branche, ou alors trop de choses possibles; c'est vrai quoi, pourquoi une action plutôt qu'une autre? pourquoi aider les immigrés français plus que les chômeurs, plus que les sinistrés d'AZF? Comment donner du sens à l'action, la vie, quand on ne croit plus en l'homme? Un an et demi plus tard ... Depuis deux ans, je participe avec quelques personnes à "créer un monde meilleur". Je suis tellement heureuse d'avoir rencontré ces gens là et d'avoir finalement fait mon choix pour cette action là! C'est finalement celle qui me correspondait le mieux. En effet, on fait un gros travail sur soi ("connait-toi même"); les méditations, en deux ans, m'ont permis de retrouver à nouveau un calme intérieur certain; et en plus, depuis 6 mois, on fait encore plus : tous ensemble, une fois par semaine, en plus des rencontres hebdomadaires, nous nous rassemblons et nous tournons nos pensées "vers tous ceux qui en ont besoin dans le monde". Et je trouve cela fabuleux, car ça répond également à cette envie d'être efficace, par un moyen simple et rapide, et juste, c'est à dire qui ne m'oblige pas à choisir pour une catégorie ou une autre de personnes en souffrance.
Deux ans plus tard…
Voilà bientôt 6 mois que mon amie psychologue, mes parents et d'autres amis m'ont ouvert les yeux sur ce qui ne me semblait pas une association, et qui en était pourtant une. Sur ce que je croyais avoir choisi de mon plein gré, et qui m'était lentement mais surement imposé... sur l'emprise que ces gens là avaient à présent sur moi... Cela s'appelle de la manipulation mentale. Les Sectes ne sont pas forcément ce que je croyais... moi, j'imaginais tout sauf un couple d'amis avec une maison, une voiture, et deux enfants! Moi, j'imaginais une secte avec un grand domaine dans la nature, des gens habillés années 68, et un gourou aux cheveux longs facilement identifiable... Et pourtant... manipulation mentale il y avait... J'ai appris que des groupes de personnes à tendance sectaire avaient distribué des tracts ou c'étaient présentés aux portes des sinistrés sous des apparences d'associations humanitaires, au cours des semaines qui ont suivi la catastrophe…
Voilà bientôt 6 mois que je suis suivie par un psychologue... tout ça pour remonter à l'élément déclencheur, à ce qui a poussé à la prise de décision de "passer à l'action", à un moment donné. L'élément déclencheur, c'est cette phrase, qui me fait pleurer encore aujourd'hui, quand je l'écris : "plus jamais ça". Pleurs de colère pour ceux qui n'ont pas pris leurs responsabilités en cette ville, avant la catastrophe. Et pleurs amers, pour n'avoir pas voulu me considérer comme une victime, à temps. Pleurs amers pour TOUS ces toulousains, qui comme moi, n'ont pas eu l'idée de se considérer comme une victime, ou d'aller consulter un psychologue pour cause de déprime... Comment oser se plaindre, ou prendre au sérieux un "coup de blues passager" en effet, alors qu'on a été en apparence épargné par la catastrophe, et alors que d'autres sont morts dans l'explosion, ou blessés physiquement à vie... Les blessures psychologiques fortes ou légères ne peuvent pas être quantifiées dans un bilan...et pourtant : combien de gens, tout comme moi, ce sont fait "rabattre" par une secte, par exemple?